Lourd de ses 1232 pages, le "Geriadur brezhoneg",
dictionnaire tout en breton publié en 1995 par les éditions
An Here (près de Brest), a tout du "pavé" qui fait
autorité. Il est disponible en bibliothèque, à l'université,
dans des associations ou dans les collèges et lycées bilingues
Diwan. Un ouvrage de référence qui doit pourtant être
feuilleté avec des pincettes. Car ce dico cache un petit abécédaire
du nationalisme breton, tendance dure. Et, plus gênant, la référence
à certaines figures du mouvement breton qui furent des collaborateurs
notoires de l'Allemagne nazie. Voici quelques perles que le lecteur bretonnant pourra débusquer. Page 122, le verbe "être (exister) est illustré ainsi : "La Bretagne n'existera pleinement que lorsque le français sera détruit en Bretagne." Ce message clair est suivi d'une affirmation tout aussi définitive : "Dieu existe." A apprendre par coeur ? Page 254, le mot "libération" appelle cette seule illustration : "Nous commençons le combat pour la libération de notre pays". Page 282, à propos du mot "libre" : "Lutter pour la Bretagne libre." Pour bien assimiler le sens de l'adverbe "entre", page 384, un seul credo : "Il vous faut choisir entre la Bretagne et la France". Un autre exemple ? Page 434, une image simple pour parler des "Français" : "Lutter contre les Français."... S'agit-il de l'oeuvre de quelques exités ? Certes, les éditions An Here sont animées par Martial Ménard, un ancien activiste du Front de libération de la Bretagne. Mais le dictionnaire revendique fièrement la présence de cinquante contributeurs, et se place "sous le parrainage scientifique de Per Denez", professeur émérite de l'université de Rennes 2, président du conseil scientifique de l'Institut culturel de Bretagne, vice-président du Conseil culturel... L'antisémite au biniou L'ouvrage recèle également des références idéologiques peu reluisantes. En page de garde, on apprend qu'il est "proposé à la mémoire de Roparz Hémon". Mort en exil en 1978 à Dublin, ce linguiste est certes le plus prolifique des écrivains bretons contemporains. Sa mémoire est d'ailleurs toujours régulièrement honorée : colloques, rééditions luxueuses... Un prix littéraire, un centre culurel à Guingamp et même le premier collège Diwan, c'est-à-dire bilingue, depuis 1989, portent son nom. Ce "grand homme" fut cependant un anthentique collaborateur des nazis. Dès les années 30, Roparz Hémon exalte la "race bretonne", "ce petit peuple nordique". Dans sa revue "Arvor", créée avec l'aval des censures allemandes et pétainistes, il vilipendera ensuite "la poignée d'enjuivés qui croient si naïvement pouvoir encore nous gouverner" (20 avril 1941) ou les "temps où feu Marianne livrait notre pays à ses juifs" (26 juillet 1942). Nommé, en juillet 1941, responsable des émissions en langue bretonne de Radio-Rennes, il devient un salarié direct de la Propagandastaffel allemande. Ce passé glorieux a conduit récemment plusieurs associations à demander à la municipalité de Guingamp de débaptiser le centre culturel... Celtitude à la mode SS Mais le dictionnaire réserve une autre surprise. Parmi les treize principaux rédacteurs mentionnés, on trouve le nom d'Alan Heusaff. Décédé en novembre dernier en Irlande, ce "lexicographe" a lui aussi un parcours des plus édifiants. Paramilitaire breton de choc dès 1938, Heusaff devient, de 1943 à 1945, l'un des trois chef de la "Bezen Perrot", une unité bretonne relevant directement des SS à Rennes. Regroupant environ 70 hommes, cette troupe est chargée par les nazis de basses besognes contre les maquis. Durant sa fuite vers l'Allemagne en août 1944, la "Bezen Perrot" se signale à Troyes par l'exécution sommaire de résistants sortis de leur geôle... Cinquante ans plus tard, Heusaff témoigne d'une certaine constance dans ses idées. En mai 1995, dans la revue en breton "Al Liamm", il écrit, à propos de l'ampleur des persécutions subies par les Juifs : "On a publié des chiffres effrayants. Les gens qui cherchent à vérifier sont jugés et contraints de se taire comme s'ils étaient tous des néonazis." Et à propos des "enquêtes" menées par le révisionniste Faurisson, il les qualifie de "méticuleuses et honnêtes". Voilà encore une remarquable référence scientifique. S'il ne s'agissait que du délire de quelques militants nationalistes attardés, ce dictionnaire d'An Here ne mériterait guère d'attention. Mais les collectivités locales et institutions publiques ne sont manifestement pas très regardantes sur le contenu et les références de l'ouvrage. sur un budget total d'un peu plus de 5,3 millions de francs, cette grande oeuvre a bénéficié de 4,9 millions de subventions publiques. Parmi les principaux donateurs, entre 1987 et 1994, le conseil général du Finistère, le conseil régional de Bretagne, la CEE, l'Institut culturel de Bretagne, le Centre national des lettres, le conseil général des Côtes-d'Armor... Actuellement, une seconde édition du dictionnaire est en chantier. En comptant à nouveau sur le vil argent de l'occupant français ? Jérôme Canard |